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— Je crois que nous avions raison au sujet des serviteurs du Vlagh qui avancent dans ce désert, à des lieues au nord du col, dit Kathlak le Tonthakan le lendemain. J’ai envoyé des éclaireurs, et ils ont repéré des ennemis dans les collines et sur les falaises, des deux côtés du col. À mon avis, le désastre des Gorges de Cristal leur a servi de leçon. Ils ont compris qu’avoir des adversaires au-dessus de soi est un moyen très sûr de passer une abominable journée. On dirait qu’ils apprennent vite… Si ces monstres restent en position, les Trogites auront une très désagréable surprise en arrivant. Nous devons nettoyer le terrain. C’est plus important que d’attaquer les troupes qui avancent vers le col.

— Ces insectes semblent plus intelligents qu’on nous l’a dit, souligna Deux-Mains. Visiblement, ils savent tirer des enseignements de tout ce qui leur arrive.

— Même si ça me désole, dit Ekial, je suis d’accord avec l’analyse de Kathlak. Il faut déloger de leur position les serviteurs du Vlagh qui guettent les Trogites. Les forces qui viennent des Terres Ravagées sont une menace moins pressante. Mais si les bâtisseurs de fortifications sont pris au piège, nous aurons un énorme problème.

— Puis-je émettre une suggestion ? demanda Kathlak. Si ça ne dérange personne, bien sûr…

— Au point où nous en sommes, répondit Ekial, je suis prêt à tout entendre.

— Il y a des arbres dans les montagnes et les Tonthakans ont l’habitude de chasser en forêt. Les Matans, eux, sont plus à l’aise sur les terrains découverts. Si mes guerriers et moi nous chargeons des monstres embusqués, Deux-Mains et ses lanciers pourront s’occuper de ceux qui avancent dans la plaine.

— C’est bien raisonné, Ekial, déclara Tlantar Deux-Mains. Le jet de lances, dans une forêt, est une perte de temps et un gaspillage d’armes. Si les Tonthakans éliminent les monstres cachés entre les arbres et derrière des rochers, les Matans aideront les Malavis à éclaircir les rangs des autres serviteurs du Vlagh.

— Ce plan mérite d’être essayé, convint Ekial.

— Dans combien de temps les Trogites seront-ils ici ? demanda Kathlak.

— Pas avant une dizaine de jours, au plus tôt…, répondit Ekial. Je crois qu’une loi, dans l’empire, interdit à un soldat de parcourir plus de quatre lieues par jour…

— C’est ridicule ! s’écria Kathlak.

— Comme toutes les lois, mon ami… Mais Gunda m’a fourni un jour une explication plus convaincante. En gros, quand un groupe très important se déplace, sa vitesse ne peut pas excéder celle de l’homme le plus lent. En outre, les soldats passent beaucoup de temps à se reposer.

— S’ils marchent comme des escargots, pourquoi ont-ils besoin de repos ?

— C’est une coutume, et les traditions ne sont jamais très fondées. Considérant la distance que devaient couvrir les Trogites, ils seront ici dans dix à douze jours au minimum. Ça nous laissera le temps de nettoyer le terrain et d’attaquer la colonne en approche. Mes amis, nous avons du pain sur la planche, et nous devrions nous y mettre !

 

L’entêtement inébranlable des créatures du Vlagh faisait froid dans le dos à Ekial. Trop peu intelligents pour connaître la peur, les monstres s’obstinaient à exécuter leurs ordres même quand cela les conduisait à la mort. S’ils ressemblaient vaguement à des êtres humains, ces hybrides d’insectes ne réfléchissaient pas comme des hommes. Un jour, dans les Gorges de Cristal, Arc-Long avait expliqué au prince que les serviteurs du Vlagh n’étaient pas conscients d’être mortels. Selon l’archer, ils se croyaient éternels, même s’ils ignoraient le sens du mot « éternité ». Les insectes vivaient dans un présent perpétuel, et le reste n’existait pas pour eux. « Hier » remontait à trop longtemps pour qu’ils s’en souviennent, et « demain » appartenait au domaine de l’improbable…

Le crétinisme des monstres avait glacé les sangs du prince. Contre un ennemi trop bête pour avoir peur, que pouvait-on faire ?

Arc-Long avait une réponse standard qui valait une multitude de longs discours : le tuer dès qu’on avait l’occasion !

 

— Surtout, dit le prince au cours d’un bref conseil de guerre, le lendemain matin, n’oubliez pas que nos adversaires ne sont pas humains, même s’ils nous ressemblent un peu. Ne perdez pas votre temps à essayer de les effrayer, parce que c’est impossible. Ils ne connaissent pas la peur.

— Ils pourraient commencer à comprendre quand nous aurons tué leurs camarades par centaines, avança le Maag Skar.

— Tout le problème est là : les insectes n’ont pas de camarades, en tout cas au sens où nous entendons ce mot. Ils n’ont pas le temps de se faire des amis, car leur espérance de vie est de six semaines. Après, ils meurent de vieillesse. C’est stupéfiant, je sais, mais c’est comme ça ! Le Vlagh leur donne des ordres, et lui seul compte à leurs yeux. Ils font tout pour lui obéir sans se soucier du danger. Si nous tuions tous les monstres sauf un, le dernier continuerait à attaquer comme si de rien n’était.

— C’est stupide ! s’écria Orgal, un des Malavis.

— Tu es loin du compte, mon ami ! Ce mot est bien trop faible. À ce jour, personne n’en a inventé un capable de décrire le crétinisme des hommes-insectes. Ils ne sont pas équipés pour penser, comprends-tu ? Cela dit, ils sont venimeux, donc n’en approche pas trop. Nous devrons nous concentrer sur ceux qui auront atteint le pied du col, en évitant de galoper comme des imbéciles dans la plaine. Notre mission est de contenir les monstres jusqu’à l’arrivée des Trogites. Après la construction de la muraille, nous serons au chômage technique…