10 – UN CHANTAGE « POUR LE BON MOTIF »
Immédiatement après l’attentat dont elle avait été victime, Hélène avait été conduite à l’hôpital de Biarritz où on l’avait admise d’urgence. La jeune fille était installée dans une petite salle à part qui, précisément, se trouvait disponible, et après avoir reçu les pansements que nécessitait sa blessure, elle s’endormit paisiblement, sans souffrance, sans fièvre, dans le petit lit blanc. Le lendemain matin, après une nuit paisible, elle était si reposée, elle avait une mine si excellente que l’interne de service qui vint la voir en demeura stupéfait.
C’était un gros garçon réjoui, un Toulousain de Toulouse, que cet interne. Il s’appelait Carnabesse. Certes, il n’était pas la distinction même, et il avait plutôt l’allure d’un rustique infirmier que d’un futur maître de la science médicale, mais il était néanmoins un excellent homme, adoré du personnel, ayant sans cesse le mot pour rire, et distrayant toujours ses malades, les étourdissant presque par ses perpétuels bavardages.
Sans faire de façon, il s’installa au pied du lit d’Hélène et causa avec elle. Naïvement, il ne dissimulait pas son étonnement de la voir en si parfaite santé.
— Est-ce possible, Mademoiselle, s’écria-t-il, que vous soyez déjà rétablie ? ma parole, vous avez une veine extraordinaire. Recevoir un coup de revolver à bout portant le soir, et le lendemain il n’y paraît plus.
— C’est vrai, murmura Hélène en souriant aimablement, j’ai de la veine, pour une fois.
— Dans deux jours, poursuivit l’interne, vous serez sur pied et vous pourrez nous quitter. Ma foi, ce sera dommage, parce que ma petite, vous êtes une jolie fille et j’aime à croire qu’on ne doit pas s’embêter avec vous.
Cette soudaine familiarité étonna un peu Hélène, qui, cependant, n’en laissait rien paraître. Elle avait esquissé une légère moue lorsque l’interne lui avait dit qu’il lui faudrait encore quarante-huit heures de séjour à l’hôpital et elle allait discuter cette question, car elle se sentait en parfaite santé, mais Carnabesse ne lui en laissa pas le temps.
— Dites donc, fit-il, racontez-moi donc un peu votre aventure d’hier soir. Certes, on m’a déjà mis au courant, mais enfin, c’est amusant comme tout de savoir et puisque, finalement, vous n’êtes pas gravement blessée, donnez-moi donc quelques détails.
— Cela vous intéresse ?
— Mais oui. Oh, poursuivit l’excellent Carnabesse, vous pensez bien que nous avons l’habitude de ces sortes d’histoires, moi surtout… J’ai fait mes études à Toulouse, qui est, comme vous le savez, la capitale du Midi, puis, je suis venu travailler particulièrement la gynécologie à Bordeaux qui est, comme vous savez, une autre capitale d’un autre Midi, et enfin je me suis arrangé pour venir passer les six mois de la saison à Biarritz. Quand on est malin, on se débrouille. Tout cela pour vous dire d’ailleurs, que dans des villes comme celles-là on ne s’embête pas, parce qu’il y a de quoi faire la noce et rigoler avec les petites poules comme vous.
— Ah, vraiment ?
— Naturellement ! Partout où il y a de la femme, cela fait du grabuge, surtout dans le Midi où on a la tête près du bonnet. Heureusement que la plupart du temps ces batailles ne sont pas graves, et qu’une bonne nuit d’amour arrange tout ça. Alors, c’est votre amant, ce spahi ?
— Oh, mon amant, fit Hélène qui esquissait un geste de protestation.
— Oui, je sais qu’on nie toujours ces choses-là. À votre aise. D’ailleurs, ça ne me regarde pas. En tout cas, le gaillard est en prison maintenant, et avec une sale affaire sur les bras.
— Pas possible ?
— Dame oui. C’est le conseil de guerre pour lui, vous comprenez, un militaire. Surtout que ce n’est pas le premier venu. Je le connais, moi, ce garçon, il appartient à une excellente famille, les Altarès. Au fait, vous ne le connaissez peut-être pas plus que cela, votre amant ? Oui, Martial Altarès appartient à une très bonne famille du Midi. Il a une sœur mariée à M. Timoléon Fargeaux, propriétaire du château de Garros, un vieux château, ma chère, tout ce qu’il y a de bien, sur la ligne de Bayonne, à huit kilomètres de la Barre de l’Adour. Oui, et vous pouvez être sûre qu’il va trinquer, car on n’aime pas ces histoires-là au régiment. Surtout que vous allez certainement porter plainte.
— Je vais voir… Monsieur, je me sens décidément tout à fait bien, et je vous prierais de me signer mon bulletin de sortie.
— Comment, protesta Carnabesse, vous voulez nous quitter ? me quitter ?
— Mon Dieu oui.
— C’est embêtant, poursuivit l’interne, moi qui me préparais à vous faire la cour, mais enfin ça n’empêchera peut-être pas. Il est évident qu’au point de vue médical je n’ai aucune raison de vous retenir. Vous vous portez, ce matin, comme le Pont-Neuf, pas l’ombre de fièvre. Cependant, je ne vous accorderai votre exeat qu’à une condition.
— Vraiment, fit Hélène, et laquelle ?
— Eh bien, ma chère petite, c’est à la condition que vous dînerez ce soir avec moi. Nous ferons ensemble la fête, ça vous consolera de votre amoureux, et je vous prie de croire qu’on ne s’embête pas avec moi. Est-ce entendu ?
— Pourquoi pas ?
— Donc, rendez-vous à la gare de Biarritz, pour le train de 6 h. 32. N’ayez pas l’air de me reconnaître, car j’ai des relations ici et même un peu de famille, mais vous prendrez un billet pour Saint-Jean-de-Luz, et c’est là que nous nous paierons une bosse de rigolade.
Une heure après, Hélène quittait l’hôpital. Au fond d’elle-même la jeune fille était enchantée de se retrouver libre, et surtout d’avoir, en faisant bavarder l’interne, obtenu des renseignements sur son mystérieux agresseur.
— Par exemple, pensait-elle, si cet imbécile compte sur moi pour dîner avec lui ce soir, il se fait de rudes illusions. C’est qu’il m’a prise pour une petite grue.
Hélène monta dans une voiture, se fit conduire à la gare, et, dans la salle d’attente, étudia l’indicateur.
***
Cependant, au château de Garros, Timoléon Fargeaux était en tête-à-tête avec sa femme. Les époux s’expliquaient :
— Enfin, d’où viens-tu ? demandait Timoléon pour la dixième fois.
— Je te l’ai déjà dit, répliqua Delphine qui simulait la patience angélique. J’ai été voir ma tante à Dax, tu sais bien qu’elle est malade.
— Enfin, va-t-elle mieux ?
— Elle va mieux.
— Est-ce bien vrai, cette histoire-là ?
— Pourquoi ?
— Parce que, éclata Timoléon, je sais qu’hier, à la gare, au lieu de prendre le train pour Dax, tu as pris celui qui va dans la direction opposée.
— C’est pour gagner du temps. Je suis allée jusqu’à Bayonne prendre l’express qui va d’une traite à Dax.
— Ah, c’est donc ça. Je comprends maintenant.
— D’abord, tu ferais mieux de me dire à quoi tu as passé toi-même ta soirée et ta nuit ?
— Moi, je suis resté bien tranquille à la maison.
— Allons donc, je sais que tu es sorti.
— Eh bien, oui, c’est vrai, je suis sorti à neuf heures pour ne rentrer qu’à une heure du matin. Mais je n’ai rien fait de mal, j’ai simplement été faire un tour dans la propriété.
— Pourquoi ? demanda Delphine.
Timoléon refusa de répondre.
Timoléon Fargeaux, d’ailleurs, ramena la conversation sur l’absence de sa femme.
— Ouf, fit-il en se laissant tomber dans un fauteuil et en attirant tendrement Delphine près de lui, je suis bien content de tout ce que tu viens de me dire, car me voilà rassuré et je t’avoue franchement que, depuis hier, j’avais des inquiétudes.
— Des inquiétudes ? à quel sujet ?
— Je n’ose pas te le dire.
— Et moi, je veux que tu parles.
— Hier, ton frère est venu aussitôt après ton départ, et il m’a fait une scène terrible, m’accusant d’être un mari aveugle, m’affirmant que j’étais cocu.
— Mon frère est un imbécile.
— Non, fit Timoléon, c’est un brave garçon, seulement il est un peu vif, exagéré, et puis, s’il parlait ainsi, c’était dans notre intérêt, pour sauvegarder l’honneur de la famille.
— L’honneur de la famille… l’honneur de la famille… De quoi se mêle-t-il, maintenant, Martial ? Véritablement, c’est extraordinaire. Insupportable. J’en ai assez, entends-tu, Timoléon ? Si jamais Martial s’avise de te reparler de ces choses-là, tu le prieras de s’adresser à moi. Et je m’en expliquerai avec lui une bonne fois pour toutes.
— Oh, je ne demande pas mieux, moins il y aura d’histoires et plus je serai satisfait. L’essentiel, pour moi, c’est, en somme, d’être assuré que je ne suis pas cocu.
Il attira Delphine tout près de lui, lui serra tendrement la taille :
— Dis-le-moi, fit-il d’une voix émue.
— Quoi ?
— Eh bien, que je ne suis pas cocu.
La jeune femme ne répondit pas. On venait de frapper à la porte du salon. Elle s’arracha des bras de son époux.
— Entrez.
La bonne se présenta.
— C’est l’institutrice.
— Quelle institutrice ?
— Celle que Madame a fait venir de Bayonne.
— Eh, tu t’y prends de bonne heure, ma Delphine. Tu engages des institutrices, et nous n’avons pas encore d’enfants.
Mme Fargeaux ne répondit pas à son mari, mais elle demeura tout interloquée, ahurie, ne comprenant rien à ce qu’annonçait la bonne.
— Vous êtes sûre que c’est pour moi ?
— Oui, Madame, précisa la servante, c’est une jeune dame qui est venue comme ça sonner à la porte du château, et elle m’a dit : « Prévenez Mme Fargeaux que l’institutrice qu’elle veut engager est arrivée. »
Delphine était bien trop intelligente pour ne pas se douter qu’il y avait là quelque mystère qu’il lui fallait élucider avec adresse.
— Faites entrer cette personne dans le petit salon, dit-elle, je vais aller la rejoindre.
La bonne obéit. Timoléon Fargeaux se disposait à suivre sa femme dans le petit salon, et il n’était pas autrement fâché à l’idée de voir l’institutrice.
Mme Fargeaux l’en empêcha :
— Toi, fit-elle, reste ici, ça n’est pas l’affaire des hommes de s’occuper du personnel de la maison, et ça m’agace de t’avoir tout le temps sur mes talons.
— Bien, bien, répondit l’excellent Fargeaux, qui renonça aussitôt à son projet. Ne te fâche pas, je n’irai pas voir la personne, seulement je sors pour aller fumer ma pipe dans le jardin.
— C’est cela, va fumer ta pipe.
Quelques instants après, Mme Fargeaux pénétra dans le petit salon. À peine y fut-elle entrée qu’elle poussait un cri :
— Ah mon Dieu, la femme de cette nuit.
Mme Fargeaux reconnaissait en effet la mystérieuse personne qu’elle avait trouvée en tête à tête avec l’infant d’Espagne, dans les appartements de ce dernier, à l’Impérial Hôtel. Mme Fargeaux tressaillit de colère :
Par exemple, c’était plus fort que tout :
— Eh bien, Madame, s’écria-t-elle, incapable de rester calme, devant cette personne, vous avez un fameux toupet. Non seulement je vous trouve hier soir là où je devais être, mais je vous revois aujourd’hui, chez moi. Vous avouerez que c’est un peu raide, et que je suis en droit de me fâcher. D’abord, que voulez-vous ?
— Vous auriez pu commencer. Madame, par me demander ce que je voulais, cela vous aurait évité des paroles inutiles, et quelque peu compromettantes, non pas tant pour moi que pour vous.
— Il suffit. Alors Madame, que voulez-vous ?
— C’est, bien simple, fit Hélène, je veux que vous m’accordiez pendant quelques jours, votre hospitalité.
— Vous êtes folle ?
— J’ai mon entière raison. Toutefois, pour dissimuler ce que la chose pourrait avoir d’étrange, vous me ferez passer pour l’institutrice de vos enfants.
— Mais je n’ai pas d’enfants.
Hélène réprima un sourire :
— Peu importe, Madame, je serai alors gouvernante de votre personnel, la sœur de la femme de chambre, la lingère chargée de quelques réparations. Je n’ai pas de vanité. Je passerai pour ce que vous voudrez. L’essentiel pour moi, c’est d’habiter ici, chez vous.
— Vous vous moquez du monde, Madame ?
— Je vous assure que non.
— Madame, je ne veux plus entendre vos propositions, allez-vous-en.
— Je ne sortirai pas.
— Pourtant, il le faudra bien.
Les deux femmes se mesurèrent du regard. Hélène reprit d’un ton très posé :
— Vous allez accepter de me garder chez vous. Si vous vous y refusez encore, j’irai de ce pas, révéler à votre mari, votre conduite de cette nuit.
Delphine Fargeaux baissa les yeux, se tordit les mains :
— C’est du chantage, fit-elle.
Hélène rougit. Elle répliqua embarrassée, mais sur un ton d’absolue sincérité :
— Vous avez dit le mot, Madame, c’est du chantage, mais soyez assurée qu’il n’est inspiré par aucun mauvais sentiment, bien au contraire. Je ne tiens pas à vous trahir, et cependant, il est indispensable que j’obtienne de vous ce que je veux. Il est nécessaire que j’habite votre maison pendant quelques jours, il y a, à cela, des motifs graves que je ne puis vous révéler pour le moment. Je m’en excuserai plus tard auprès de vous, je me justifierai, et vous reconnaîtrez que si j’ai agi de la sorte c’est parce que j’y étais contrainte et forcée, il y va d’ailleurs de votre intérêt et de votre honneur.
— Qu’est-ce qu’ils ont tous, à s’occuper ainsi de mon honneur ?
Néanmoins, se rendant compte que cette jeune femme avait décidément des motifs graves, pour lui faire son étrange requête avec autant d’insistance, Delphine Fargeaux répondit :
— Soit, en principe, je ne dis pas non. Supposons donc que j’accepte de satisfaire à votre désir et que vous allez passer désormais pour la gouvernante de la maison. Est-ce tout ce que vous voulez ?
Hélène hocha la tête :
— Non, Madame, il y a autre chose.
— Quoi, grands dieux ?
— Il s’agit de votre frère. M. Martial Altarès, spahi, est bien votre frère, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Savez-vous qu’il est arrêté ?
Cette question était si brusque que Delphine Fargeaux vacilla sur ses jambes et dut s’asseoir sur un fauteuil.
— Que racontez-vous là, Madame ?
— Mademoiselle.
Mme Fargeaux reprit :
— Que racontez-vous là. Mademoiselle ? Mon frère est arrêté ? Pourquoi ? qu’a-t-il fait ?
— Il a tiré sur moi un coup de revolver et m’a blessée à l’épaule.
Delphine, en effet, ne savait rien de ce qui s’était passé sitôt après son départ des appartements de Son Altesse Royale, qu’elle avait quittés précipitamment. Elle avait connu le début du vaudeville qui s’était déroulé entre elle, Hélène et l’infant d’Espagne, elle avait ignoré le drame dont son frère, jaloux de l’honneur de la famille avait été le héros principal et Hélène, la victime qui n’en pouvait mais.
Cette dernière mit rapidement Mme Fargeaux au courant de l’aventure. Hélène avait compris ce qui s’était passé en apprenant par l’interne que Martial Altarès était le frère de Delphine Fargeaux et elle s’était rendu compte qu’elle avait été victime d’une erreur. Le spahi avait voulu tirer soit sur sa sœur fautive, soit sur l’infant coupable. Il avait atteint un tiers, par le plus grand des hasards.
Delphine Fargeaux écoutait ce récit, qu’elle n’interrompait que d’interjections étouffées, d’exclamations plaintives, et soudain, une pensée lui vint à l’esprit :
— D’abord, interrogea-t-elle, en fixant Hélène dans les yeux, comment étiez-vous là, à l’Impérial Hôtel, en tête-à-tête avec l’infant ?
— Cela, avoua la jeune fille, je dois dire que je n’en sais absolument rien. C’est un mystère que j’éclaircirai sans doute un jour. Pour le moment, je ne puis vous renseigner. Mais, revenons à notre sujet. Il faut, Madame, que vous sauviez votre frère. Il est actuellement sous le coup d’une grave accusation, il risque un châtiment terrible, celui des assassins vulgaires, il est indispensable que vous le sachiez.
— Que dois-je faire ?
— Il faut, déclara celle-ci, que vous alliez dire la vérité tout entière à la Justice.
— Mon Dieu, mais c’est épouvantable, c’est affreux, la situation dans laquelle je me trouve est unique au monde, il n’en est pas de plus atroce.
— Pourquoi ?
— Parce que si je dis la vérité, je suis perdue.
— Votre frère sera sauvé. Si on le juge sous l’inculpation d’avoir tiré un coup de revolver sur une inconnue, il passera pour une simple brute et il sera durement condamné, tandis que si on connaît les motifs qui ont armé son bras, si l’on sait que c’est pour protéger sa sœur, pour la défendre contre un amoureux entreprenant, si l’on apprend que ce militaire a fait feu pour sauvegarder l’honneur de sa famille, on lui pardonnera, il sera remis en liberté.
— Mais alors, si je parle, je me déshonore à tout jamais, car il me faudra dire les motifs pour lesquels je me trouvais auprès de l’infant.
— Il vous faudra dire la vérité, Madame, le devoir de tout être humain c’est de dire la vérité et vous le ferez quoi qu’il arrive, n’est-il pas vrai ?
Un instant, Delphine Fargeaux réfléchit. Tout son être se crispa.
— Je serai courageuse, murmura-t-elle enfin, vous avez en effet raison. J’irai dès cet après-midi à Bayonne, je verrai les gens de justice et je leur parlerai. Toutefois, poursuivit-elle, en essuyant une larme, plus jamais, au grand jamais je n’oserai reparaître ici, me montrer à mon mari. Pauvre Timoléon, que va-t-il penser de moi lorsqu’il saura… Je vous remercie. Mademoiselle, des bons conseils que vous m’avez donnés. Il me reste à vous demander une faveur.
— Laquelle, Madame ?
— Eh bien, voici : en sortant du Tribunal, cet après-midi, je partirai pour l’étranger, j’irai loin, très loin. On ne saura jamais ce que je suis devenue. Alors, je compte sur vous pour dire à mon mari… Mon Dieu, tout ce qui vous plaira. À la condition simplement, qu’il ne sache point ce qui s’est passé, qu’il conserve toujours un souvenir tendre et pur de sa petite Delphine.
Mme Fargeaux ne pouvait plus continuer. À demi écroulée sur le plancher, elle sanglotait éperdument ; Hélène eut pitié de cette grande douleur. Elle s’approcha, lui prit les mains :
— Madame… commença-t-elle.
Mais la jeune fille s’interrompit. La porte du petit salon s’était entrebâillée et par cette ouverture, apparaissait une silhouette masculine, la grosse tête ronde de Timoléon Fargeaux qui roulait des yeux étonnés.
— Vous en faite un tapage, commença-t-il, on vous entend toutes les deux depuis…
Timoléon Fargeaux s’arrêta net. Delphine avait bondi et, redevenant acariâtre, les poings crispés, elle s’était écriée :
— Toi, d’abord, fiche-nous la paix.
Prudent et rapide, Timoléon Fargeaux avait battu en retraite.
— Bon, bon, murmura-t-il, en balbutiant encore quelques vagues excuses qui se perdaient dans le couloir.
— Croyez-vous qu’il est assommant, s’écria machinalement Mme Fargeaux.
Hélène ne put s’empêcher de rire. Elle était un peu étonnée par ce caractère de femme méridionale au tempérament excessif, et qui passait en l’espace d’une seconde de l’extrême douceur à la plus vive colère ou à la plus franche gaieté.
— Si tel est votre mari, Madame, dit Hélène, je crois qu’il sera inutile d’en venir aux extrémités fâcheuses que vous méditiez tout à l’heure. Je maintiens qu’il est indispensable que vous alliez au plus tôt dire la vérité à la justice et faire libérer votre frère, mais que votre départ est inutile, et qu’il vous suffira pour assurer définitivement la paix de votre ménage, de quelques bonnes paroles dites au bon moment à l’excellent homme que doit être votre mari.