27 – QUATRE CRIS DANS LA TOURMENTE

Que s’était-il donc passé ?

Une heure environ avant que Fandor et lady Beltham eussent vu le procureur Anselme Roche si extraordinairement enlevé du haut de la galerie du phare, par une sorte de perche qui avait semblé surgir du sein des flots, Juve, qui depuis le début de la soirée était sur les traces de Fantômas, avait fini par rejoindre le bandit au moment où celui-ci arrivait au Port-Vieux à Biarritz.

Fantômas un instant, semblait-il à Juve, avait eu l’idée de pénétrer dans l’auberge de José Farina. Il était vraisemblablement trop tard, les volets, les fameux volets du cabaret étaient hermétiquement clos et le bandit, qui certainement se sentait poursuivi, avait dû se rendre compte qu’il n’aurait pas le temps de se faire ouvrir avant d’être rejoint.

Fantômas prenant une décision rapide, se perdit alors dans une ruelle étroite et sombre qui faisait l’angle de la maison de José Farina. Cette ruelle conduisait au port. Fantômas la suivit en courant, il n’avait pas le droit de s’attarder, derrière lui, en effet, il entendit le bruit des pas précipités de Juve et l’insaisissable bandit devait redouter d’être capturé enfin.

Fantômas s’élança sur la jetée qui menait à l’entrée du port et, dès lors, à la lueur vacillante des lampadaires électriques, Juve, qui s’en rapprochait de plus en plus, pouvait le voir courant devant lui. C’était un spectacle impressionnant que celui de ces deux hommes dont l’un poursuivait l’autre et qui couraient sur cette jetée étroite, rendue glissante par les vagues qui y déferlaient.

La mer était très dure, on entendait au lointain le grondement de l’océan en furie, la plainte brutale du vent auxquels se mêlaient le long cri plaintif des sirènes actionnées par les navires qu’inquiétaient la tempête, au loin.

Lorsque se produisait une accalmie, le vent apportait par bribes les échos lointains de l’orchestre de tziganes du Casino aux salons brillamment illuminés.

Juve songeait, cependant que, frileusement, il refermait son pardessus qu’arrachait la tempête :

— Que va faire Fantômas ? Il n’est point d’issue à l’extrémité de cette jetée et, comme je doute qu’il se jette à la mer, j’imagine qu’il va se retourner, que nous allons nous livrer, seul à seul devant l’immensité, une lutte d’homme à homme.

Juve, surexcité par la poursuite à laquelle il se livrait et se sentant tout près d’atteindre le but, éprouvait au fond de lui-même une satisfaction intense à l’idée que le dénouement qui approchait désormais était inévitable.

— À nous deux, Fantômas ! cria-t-il.

Mais, à ce moment, Juve poussa un juron. Le bandit venait de disparaître. Il avait sauté de la jetée, semblait s’être perdu dans la mer. Juve se précipita jusqu’à l’extrême pointe de la digue avancée au milieu des flots.

— Il ne sera pas dit que Fantômas m’échappera, s’écria-t-il.

Et Juve sauta à son tour par-dessus le parapet, s’élança à la poursuite de Fantômas, car Juve, en un éclair, avait compris ce qui se passait. Et, avec une témérité sans pareille, il avait décidé de poursuivre coûte que coûte le Maître de l’Effroi dans ses périlleuses entreprises.

Un bateau à vapeur, de petites dimensions, que Juve n’avait pas remarqué jusqu’alors, avait évolué dans le port au moment où la poursuite prenait place. Il dansait sur les vagues, ballotté comme une coque de noix, cependant que sa cheminée vomissait des torrents de fumée qui venaient, en nuages d’encre, se perdre dans l’obscurité de la nuit. Or, au moment précis où Fantômas atteignait l’extrémité de la jetée, ce vapeur doublait la digue, la rasant de près. Et Fantômas avait bondi, en un saut prodigieux.

Mais le bandit ne s’échappa pas de la poursuite que lui livrait son audacieux adversaire, car Juve, une seconde après, n’écoutant que son courage et au risque de tomber dans les flots qui battaient furieusement le pied de la digue, bondit à son tour pour tomber lui aussi sur le pont du navire. Le policier fit une chute invraisemblable. Arrivé sur un paquet de cordes, il fut projeté par un coup de roulis, la tête contre un bastingage, et son bras, fortement contusionné lâcha, sous la violence de la douleur, le revolver qu’il tenait à la main.

— Crénom de bonsoir, jura Juve en se relevant, me voilà mal parti dans cette affaire !

Mais le policier n’eut pas le temps de réfléchir. Une lame qui secouait le navire et le faisait frémir jusqu’au fond de ses flancs, mouilla Juve des pieds à la tête et le projeta contre l’une des poutrelles qui soutenaient une sorte de dunette, où un homme venait de monter. On entendit dans la tempête les commandements retentir :

— Barre à tribord, toute.

Puis des bruits de chaînes, commandant le gouvernail, et qui prouvaient que l’ordre avait été exécuté. D’autres commandements. C’étaient des indications relatives à la vitesse des machines. Le porte-voix les transmettait dans les entrailles du navire d’où s’élevaient des bruits sourds, cependant que sur les flots qui le ballottaient, naissait à l’arrière du vapeur un bouillonnement d’écume toute blanche, déterminé par le battement des hélices.

Quelques instants s’étaient à peine écoulés que Juve se rendait compte que la jetée était déjà loin. On était en mer. Où allait-on ? à bord de quel navire Juve se trouvait-il ? sur quel terrain allait-il avoir à soutenir la lutte suprême avec Fantômas ?

Mais le policier ne réfléchit pas longtemps. Pour résister au tangage qu’accompagnait le roulis, il s’était fortement accroché à la colonne de fer qui soutenait la passerelle. Soudain, à quelques mètres de lui, une silhouette se dressa, un homme se dressa, qui l’interpella :

— Eh bien, Juve, vous voilà ?

— Vous voilà, Fantômas ?

Juve était furieux contre lui-même. Ah, que n’avait-il pu conserver son revolver. S’il avait eu son arme à ce moment, il aurait froidement tiré, tiré à bout portant. Il aurait, sans discussion préalable, abattu comme un chien l’être effroyable et terrible qu’il poursuivait depuis tant d’années. Juve ne pouvait rien. Il était désarmé. Il se tut.

Quelqu’un, cependant, du haut de la passerelle, appelait :

— Patron, quelle direction cette nuit ?

C’est à Fantômas que l’on s’adressait évidemment, car le sinistre bandit de sa voix claironnante et narquoise, répliqua aussitôt :

— Comme toujours, sur le phare de l’Adour. Puis, quand tu seras arrivé, mets en panne devant la pignada du château de Garros.

Malgré tout son courage et son sang-froid inébranlable, Juve frémit. Fantômas dictait des ordres au pilote du navire, c’est donc qu’il n’était pas par hasard à bord de ce vapeur. Son enlèvement avait été combiné à l’avance et il s’était merveilleusement exécuté. On avait tendu à Juve une souricière et, en poursuivant Fantômas, il était tombé dans le piège. Ce navire, évidemment, était mené par les hommes du Génie du Crime.

— Ça y est, pensa Juve, cette fois, je suis foutu.

Résigné à son sort, n’essayant pas même de se précipiter sur Fantômas, qu’il devinait armé, qu’il sentait entouré de complices tout prêts à le défendre à la première attaque, Juve ne broncha pas. Cependant, Fantômas s’adressait à nouveau à lui :

— Vous êtes mon prisonnier, Juve.

Sa voix dominait le bruit de la tempête, le grondement sourd des machines, le clapotement des flots sur les flancs du navire.

— Votre prisonnier ? répondit Juve, jamais !

— Vous résisterez donc ? demanda Fantômas.

— Je résisterai jusqu’à la mort.

Il y eut un silence. Un coup de sifflet retentit. Puis le navire s’écarta de sa ligne, faisant une embardée terrible, embarquant un large paquet de mer.

Et Juve, à ce moment, se demanda s’il ne valait pas mieux en finir tout de suite, s’il n’était pas préférable pour lui de chercher un trépas volontaire en se précipitant dans les flots. Mais il connaissait son devoir, il devait jusqu’au bout se conserver vivant, jusqu’à son dernier souffle, il devait garder l’espoir de soutenir la lutte, et de triompher.

Fantômas s’était tu, et il semblait à Juve que ces secondes tragiques duraient des siècles.

Enfin, le bandit reprit, et désormais c’est d’une voix toute changée, qu’il s’adressait au policier. Fantômas fit même un pas vers lui, pour lui dire :

— Ce n’est pas la mort, Juve, que je vous offre, c’est la paix. J’ai besoin de vous.

— Vraiment, Fantômas ? Ne savez-vous donc pas à qui vous vous adressez pour oser faire une proposition semblable ? Sachez que je n’aurai pas pitié de vous si je suis le plus fort, je ne m’abaisserai jamais à vous demander grâce.

— Juve, poursuivit Fantômas, il ne s’agit pas de ça. Je connais trop la noblesse de votre âme pour supposer un seul instant que vous seriez capable de venir solliciter ma pitié. C’est moi qui sollicite votre appui, me comprenez-vous bien ?

— Je ne vous comprends pas, fit Juve, et je souhaite que nous en finissions.

— J’ai besoin, vous dis-je, de votre appui, et c’est pour cela que je vous accorde la vie sauve. Il faut que vous m’aidiez dans une entreprise honnête.

Fantômas insista sur ce dernier mot, avec l’évidente intention de le faire remarquer.

— Rien de ce qui vient de vous ne peut être honnête. Je refuse.

Et il y avait une telle volonté, une telle résolution dans le ton de ces paroles, que Juve considéra que désormais l’entretien ne pouvait être que terminé.

Instinctivement, il ferma les yeux, s’attendant à être frappé, il pensa à Fandor. Mais Fantômas n’avait pas cessé de parler. D’une voix qu’étranglait l’émotion, il insista encore, suppliant presque :

— Il s’agit de ma fille, dit-il, d’Hélène.

Fantômas n’acheva point. Un bruit terrible venait de se produire, c’était une des manches à air qui, arrachée par une vague, venait de s’écrouler sur le pont du navire.

Juve s’écarta machinalement. Une seconde de plus et le lourd cylindre de fer, qui roulait vers le bastingage, l’écrasait, l’entraînait avec lui dans sa chute. La manche à air fit un bond, tomba dans les flots qui l’engloutirent.

La mer était toujours démontée. Des matelots affairés allaient et venaient sur le pont, sans interruption. Du haut de sa lunette, le pilote donnait les ordres, d’une voix calme et énergique. Le policier perdit de vue Fantômas. Il fit quelques pas, trébuchant sur le navire, ne sachant trop ce qui allait advenir, souhaitant presque que la mer qui déferlait avec furie lui donnât le coup de grâce et ne décidât d’engloutir avec lui ce tragique bateau et son mystérieux équipage. Il ne devait pourtant pas en être ainsi.

Le navire triompha de la mer démontée, il vola littéralement sur la crête des vagues.

Juve s’était réfugié à l’avant du bateau, cramponné à une bouée. Il entendit encore Fantômas qui discutait avec le pilote :

— Approchons-nous ? demandait le bandit, nous devrions être arrivés.

Mais le pilote répondait :

— C’est sûr que nous devrions être arrivés, mais il faut croire que le bateau ne gouverne plus, car je vois les feux du phare qui sont au moins à dix milles de nous. Nous avons dû être entraînés au large.

— La boussole, interrogea Fantômas, que dit-elle ?

— Cassée, répliqua le pilote, cassée par la manche à air.

Le bandit grommela, cependant que le pilote, après avoir vérifié son gouvernail, s’écria d’une voix triomphante :

— Non, la barre tient encore, on va pouvoir se redresser, je pointe droit sur le phare.

Qu’il était loin ce phare, et que ce voyage paraissait long. Les hommes discutaient tout en faisant la manœuvre.

— Pas possible, grommela l’un d’eux, c’est pas le phare de l’Adour que nous voyons ici, le phare de l’Adour doit être beaucoup plus près de nous.

Mais son compagnon :

— Imbécile, s’il était plus près de nous, on verrait son feu tournant.

Juve, en s’agrippant à droite et à gauche, était parvenu jusqu’à l’ouverture qui donnait dans l’intérieur de la cale avant.

Malgré ses préoccupations, malgré l’émotion intense qu’il éprouvait, il demeurait penché sur cette ouverture, tant il était stupéfait, intrigué par les choses qu’il découvrait à l’intérieur de cette cale. Elle était illuminée par de nombreux falots, il y avait là une demi-douzaine d’hommes qui, indifférents en apparence à la tempête qui les secouait, se livraient à une besogne étrange : ils remuaient de gros boulets de fonte, les transportaient vers un endroit ignoré de Juve. Toutefois, c’étaient des boulets spéciaux, ils étaient fendus en deux, et s’ouvrant à l’intérieur ils étaient creux, et cependant que les uns transportaient ces boulets, les autres les remplissaient, littéralement les bourraient d’objets que Juve ne tardait pas à identifier : des rouleaux de dentelles.

Juve était tellement intéressé que, penché sur l’ouverture pour regarder ce qui se passait dans la cale, il n’entendit pas Fantômas venir. Celui-ci, toutefois, hésitait à s’approcher de Juve.

Certes, à ce moment, il semblait que si Fantômas eût voulu, il n’avait qu’un pas de plus à faire, et, qu’en toute sécurité, il pouvait frapper le dos de Juve d’un coup de poignard ou le transpercer d’une balle. Fantômas frappant par derrière, n’était-ce pas là une attitude naturelle du bandit ?

Eh bien, ce geste, Fantômas ne le fit pas. Car Juve exerçait sur lui un tel ascendant, que Fantômas avait peur, oui peur, d’attaquer le policier.

Il s’écarta, vint se mettre en face de lui, de l’autre côté de l’orifice qui faisait communiquer la cale avec le pont. Puis, de sa voix gouailleuse comme toujours, Fantômas interrogea :

— Cela vous intéresse, Juve ?

Le policier se redressa, vit le bandit en face de lui. Il ne répondit pas. Fantômas continua :

— Je veux bien vous l’avouer, fit-il désormais, qu’est-ce que je risque ? Et je vais vous apprendre un bon tour de ma façon. Tel que vous me voyez, Juve, je fais de la contrebande, mais non point à la manière de ces pauvres hères qui se donnent un mal inouï pour passer des marchandises à travers la montagne, sur le dos de mules, qui fuient à l’approche des douaniers. Non, je fais mieux que cela, il n’est pas de frontières pour Fantômas. Et c’est à coups de canon que je transporte ma marchandise, d’un pays à l’autre.

— À coups de canon ?

— Oui, fit Fantômas, j’ai pour habitude depuis déjà pas mal de temps d’envoyer par la voie des airs et l’intermédiaire d’un canon, des boulets chargés de dentelle espagnole, sur le sol de France. Notre tir, poursuivit-il, est admirablement réglé. Nous pointons du large, où nous nous trouvons en ce moment, sur une colline de sable qui constitue pour nous un but idéal. Mais, au fait, Juve, vous la connaissez mieux que personne, cette colline de sable ? À sa base, s’élève le pavillon de chasse qui dépend du château de Garros. Si vous aviez pris la peine de fouiller le sol de cette colline, vous auriez constaté qu’il était miné par nos boulets.

— Des boulets, dit Juve, dont les idées désormais commençaient à s’éclaircir.

Il entrevoyait confusément encore, mais d’une façon certaine, la clef du mystère qui l’avait si longtemps intrigué. Et il comprenait presque maintenant la plaisanterie de Fantômas lorsque celui-ci avait voulu faire remettre à l’infortuné Timoléon Fargeaux un éclat d’obus en échange de vingt-cinq mille francs.

Fantômas, d’ailleurs, précisa à l’intention de Juve :

— Nous avions choisi cette colline au sol meuble et aux environs déserts pour éviter les accidents. Hélas, on ne fait pas toujours ce que l’on veut, et il est arrivé qu’un jour, un malheureux être, qui, d’ailleurs, le méritait, puisqu’il enfreignait mes ordres et trompait ma surveillance, a reçu un de ces boulets en pleine poitrine et en est mort. Vous savez qui je veux dire, Juve ? Il s’agit de Martial Altarès, le spahi.

— Misérable, hurla Juve, qui, désormais comprenait en effet, et qui sentait monter en lui une effroyable colère.

Désormais, incapable de se dominer, Juve, au risque d’être frappé d’une balle en plein cœur, se précipita sur Fantômas. Mais, à ce moment, une secousse effroyable fit trembler la navire. Un cri retentit :

— Nous touchons. Nous allons couler.

Juve et Fantômas, qui allaient se rejoindre, s’arrêtèrent, figés sur place. Un grand craquement venait de se produire. C’était le maître mât qui se brisait, et toute sa partie supérieure qui tombait avec fracas sur l’avant du bateau entre Juve et Fantômas. Seulement ce mât comportait quelque chose d’extraordinaire, c’est qu’il entraînait dans sa chute quelqu’un qui se trouvait accroché à son sommet. Juve et Fantômas poussèrent un hurlement. Ils reconnaissaient, dans l’être qui tombait ainsi du ciel, et qui n’était plus qu’une loque humaine, le procureur général de Bayonne, Anselme Roche.

Comment était-il là ? Juve et Fantômas auraient certainement compris s’ils avaient su où ils se trouvaient, s’ils avaient pu savoir qu’une seconde auparavant l’infortuné magistrat avait été arraché du haut de la galerie du phare de l’Adour dont les feux étaient éteints, par la pointe de ce mât qui l’avait entraîné ensuite dans sa chute.

Désormais ce fut un désordre indescriptible. Le navire faisait eau, les hommes, terrifiés, semblaient ne plus vouloir obéir aux ordres que le pilote, toujours cramponné à sa dunette, leur communiquait par le porte-voix. Puis une lueur soudaine s’alluma dans les flancs du bateau, l’incendie.

— Nous sommes foutus, hurla Fantômas.

À ce moment, une détonation terrible s’éleva. L’incendie qui venait de s’allumer dans l’entrepôt avait mis le feu à la cartouche du canon et celui-ci partait. Il était chargé, il était bourré d’un de ces gros boulets remplis de dentelle, qui devaient être envoyés, conformément aux habitudes prises par la bande de Fantômas, dans la pignada du château de Garros. Mais ce boulet à peine lancé vint heurter une masse de pierre et s’y enfonça avec un sinistre fracas, cependant qu’une grêle de moellons s’abattait en pluie sur le pont du navire. Que se passait-il donc ? Le tragique bateau, enfonçant dans l’obscurité, touchait-il aux portes de l’Enfer ? Fantômas ne s’occupait plus de Juve, Juve ne s’inquiétait plus de Fantômas.

En même temps qu’on était abasourdi par le tapage incompréhensible qui se produisait alentour, on entendait des voix humaines, des gémissements, des plaintes, des hurlements aussi. Fantômas commençait à perdre de sa belle assurance. D’une voix entrecoupée, il cria au pilote :

— Mais qu’arrive-t-il ?

— Parbleu, s’écria l’homme, nous avons donné en plein dans le phare, nous ne pouvions pas soupçonner qu’il était là. Voilà une heure que ses feux sont éteints.

Juve entendit ces paroles, il comprit.

C’était à la barre même de la rivière, qu’on se trouvait. On avait donné contre le rocher sur lequel s’élève le phare, et celui-ci s’écroulait, détruit par le boulet qui venait de le frapper à bout portant.

La tempête, cependant, redoublait d’intensité, il y eut encore des cris, une nouvelle grêle de pierres, qui s’abattit sur le navire, puis, soudain, l’eau bouillonna, remonta de l’intérieur des soutes dans les orifices des cales communiquant avec le pont. Des gerbes d’eau jaillirent, le navire s’inclina brusquement, la mer recouvrit le tout. Puis ce fut le silence, on n’entendit plus que le grondement du vent et les coups formidables que portait la mer aux rochers où s’élevait encore un instant auparavant le phare de l’Adour.

Celui-ci n’était plus que ruines et décombres, que balayaient sans cesse les flots impétueux.

On perçut encore des râles, des appels sinistres de mourants, les cris des noyés. Et alors ce fut à nouveau le silence absolu. Une heure, deux heures passèrent. La mer avait accompli son office, elle se calmait lentement. Peu à peu, à l’horizon, une ligne rouge s’esquissa dans le ciel précisant sa forme, s’affirmant. Le soleil se levait. Et alors, dans l’aube rougeoyante de ce matin tragique, on put voir ce qui se passait, ceux qui restaient accrochés à la roche à demi submergée, purent s’entrevoir, se reconnaître. Quatre cris s’échappèrent de poitrines harassées. Et ces quatre cris étaient à la fois des exclamations de joie, et des interjections de haine. Les quatre voix avaient crié :

— Juve !

— Fandor !

— Lady Beltham !

— Fantômas !

FIN


[1] - Le Palais de Justice à Paris. (Note de PMV).

[2] - La Course aux dollars, pièce à grand spectacle en 4 actes et 25 tableaux de Maurice de Marsan et Gabriel Timmory eut un succès considérable et fut représentée 266 fois au théâtre du Châtelet entre novembre 1911 et novembre 1912. L’un des tableaux montrait un train traversant une forêt en flammes. (Note de PMV).

[3] - Une bonne affaire (Dictionnaire d’argot fin de siècle de Charles Virmaître, Ed. A. Charles, Paris, 1894). (Note de PMV)

[4] - Boisson composée d’un mélange de café et de vin, ou d’un autre alcool. Originaire d’Algérie, cette boisson était également appelée champoreau. (Note de PMV).

[5] - ou « pantre », dans le dictionnaire d’argot de Vidocq. « Homme simple, facile à tromper. Paysan. » (Note de PMV)

[6] - Sebastian Kneipp (1821-1897), prêtre et médecin allemand, mit au point une méthode thérapeutique basée sur l’hygiène de vie, l’exercice physique et les bienfaits de la nature, préconisant notamment des traitements par l’eau et par les plantes. (Note de PMV).